Le 6 mai à 19h15, le Représentant de Taïwan en France Amb. François Chihchung WU était l'invité du débat du jour de l'émission RTL Bonsoir! sur le thème: Est-ce qu'on peut dérouler le tapis rouge au président chinois? Est-ce qu'il faut éluder les sujets qui fâchent?

Voici l'intégralité de cet entretien diffusé en direct:

Bonsoir, François Chihchung WU.

Bonsoir, très heureux et très honoré.

Merci d'être notre invité ce soir. Pour que les auditeurs situent votre pays, c'est cette île au large de la Chine revendiquée par Pékin, et d'ailleurs, vendredi dernier encore, des avions et des navires chinois ont été détectés autour de Taïwan. On l'a dit, Xi Jinping a rencontré aujourd'hui Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, l'Europe hausse le ton sur des questions économiques, mais on n'a pas entendu pour l'instant de déclaration forte à la fois sur les sujets des droits de l'homme et de votre pays, Taïwan. Est-ce que vous le regrettez?

Alors, je crois, pour le moment, je ne le regrette pas, ce que j'espère, c'est que Monsieur Emmanuel Macron passera des messages en privé à Monsieur Xi Jinping, parce que je crois qu'actuellement, le sujet principal, c'est la guerre en Ukraine. Emmanuel Macron l'a dit, c'est une question existentielle, donc Monsieur Macron souhaite que la Chine n'assiste pas la Russie pour continuer à faire cette guerre en Europe, et je crois, c'est quand même très important pour la France en ce moment. Pour moi, ce que je souhaite, c'est que Monsieur Emmanuel Macron passe des messages à Monsieur Xi Jinping, que la stabilité et la paix de la région Asie-Pacifique est aussi une question très importante pour la France qui doit défendre ses intérêts dans cette région.

Emmanuel Macron promet d'évoquer les dossiers qui fâchent derrière porte close. Vous comprenez cette prudence diplomatique, qui ne prend pas position officiellement et de façon pas cachée pour Taïwan?

Alors, il y a quand même une question de puissance, parce que la Chine est très forte pour diviser l'Europe, et il faut être pragmatique. Si vous regardez, récemment, le chancelier allemand Olaf Scholz qui a amené plein d'industiels en Chine, et, je crois, cela pose beaucoup de problèmes en Europe, et donc la France ne peut pas faire face à toutes ces questions toute seule. Je suis conscient de ces difficultés. Tout ce que je souhaite, c'est que des messages continuent à être envoyés à la Chine, pas simplement par la France, mais aussi les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, le Canada, si tout le monde se met dans cette même position pour envoyer des messages à la Chine, je pense on pourra vraiment contrôler cette paix ou cette stabilité dans la région.

Quand Emmanuel Macron est rentré de Chine il y a quelques mois, il a déclaré dans l'avion: la pire chose serait que nous soyons suivistes des Etats-Unis sur le sujet de Taïwan. Elle vous a heurté cette phrase?

Alors, tout ce que je puis dire... Cette phrase, bien sûr, ce n'est pas une façon qui nous satisfait d'interpréter les choses. Mais moi, après, j'étais très content des conséquences de cette phrase d'Emmanuel Macron. On a vu qu'il y avait une très forte réaction de toute la société française, et même du corps diplomatique de la France. C'est cela qui a été très important, et qui a très bien montré qu'une grande partie du monde démocratique et industriel soutient Taïwan très fort et soutient surtout le statu quo et la stabilité de la région.

Discuter avec la Chine, ça a quelque chose de presque schizophrène pour nous les Européens, parce qu'il y a des affaires d'espionnage chinois en Europe, la tête de liste des Républicains aux Européennes, François-Xavier Bellamy affirme avoir été victime d'une cyber-attaque chinoise, et pourtant, on continue de discuter...

Taïwan c'est pareil! On est victime, non simplement d'espionnage, parce que l'espionnage, c'est quand même... C'est quelque chose qui arrive autour de nous. Nous c'est tous les jours, dans la zone d'identification de défense aérienne. Vous l'avez évoqué tout à l'heure: tous les jours, il y a six ou sept avions, cela peut même aller jusqu'à quarante ou cinquante. Pour le Japon, ce sont des incursions maritimes. L'année dernière, ils en ont eu 700 à 800. Des bateaux de guerre, des avions, cela peut vraiment déclencher une guerre, tandis que l'espionnage, je ne veux pas dire que ce n'est pas important, mais cela nous laisse quand même encore dans la paix. Ce que nous craignons beaucoup à Taïwan, au Japon, chez les Philippins, c'est cette provocation militaire venant de la Chine qui essaye d'imposer sa position et qui titille tout le monde avec ses capacités militaires et inquiète tout le monde dans la région.

Ces intimidations sur le terrain, autour de Taïwan, elles fonctionnent? Est-ce qu'elles effraient les Taïwanais? Est-ce que chez vous, on a peur d'une guerre?

Alors, d'abord, je crois, nous sommes déjà habitués à ces menaces chinoises. Et, je dois dire, les Taïwanais ont quand même peur. Parce que les Taïwanais sont comme les Français, tout le monde veut la liberté, la paix, la démocratie, veut vivre dans la prospérité. Mais Taïwan est aussi un pays résilient. Récemment, il y a eu un séisme de magnitude 7, et on a quand même très bien résisté. Taïwan se prépare: on a prolongé le service militaire, on vient de sortir notre propre sous-marin de fabrication nationale, avec l'aide des Américains et des Britanniques, nous augmentons aussi notre budget défense, et les Japonais et les Philippins font la même chose. Je dois dire aussi que nous avons de plus en plus de soutiens: même si le chancelier allemand est allé en Chine, la ministre des Affaires étrangères allemande a déclaré il y a quelques jours que l'Allemagne allait participer à des manoeuvres militaires dans la région et n'excluait pas de faire passer une frégate allemande dans la région, et ça, ça n'est jamais arrivé.

Mais pour qu'on comprenne bien, pourquoi la Chine veut à tout prix remettre la main sur Taïwan? Parce qu'une démocratie dans un territoire où on parle chinois, c'est vécu comme un affront?

Alors, je pense, on ne va pas dire que c'est pour tous les Chinois, c'est surtout pour Monsieur Xi Jinping. Le système politique de la Chine, c'est un système totalitaire. Pour eux, ce qui menace le régime, c'est la liberté. La Chine a détruit la démocratie à Hong Kong, vous le savez très bien, et pendant la crise du Covid-19, Taïwan a pu montrer qu'avec la démocratie, on pouvait aussi très bien gérer la crise du Covid. Je pense que c'est quelque chose de très mauvais pour Xi Jinping parce que cela prouve qu'une société sinophone peut très bien vivre avec la démocratie et les valeurs universelles. C'est une première chose. Deuxième chose, je pense qu'il faut noter que Monsieur Xi Jinping, il y a dix ans, en 2014, avait dit à Monsieur Obama que l'Océan pacifique était assez grand pour permettre à deux puissances de coexister. Et il y a deux semaines, il a dit à Monsieur Antony Blinken, maintenant le monde est assez grand pour permettre à deux super-puissances de coexister. L'ambition chinoise, c'est de dominer le monde, conquérir Taïwan, et aussi mettre la main sur les semi-conducteurs taïwanais. Je peux vous donner encore un chiffre: maintenant, on parle beaucoup d'intelligence artificielle. L'IA repose sur les semi-conducteurs les plus avancés. Taïwan, en général, détient la fabrication de 92% des semi-conducteurs les plus avancés, mais pour ce qui concerne l'intelligence artificielle, c'est 100% Made in Taiwan.

Cela veut dire que Taïwan est un enjeu, aujourd'hui, commercial aussi, parce que 60% des conteneurs du monde passent par le détroit de Formose?

Vous avez raison, et ça c'est en général, 60% des conteneurs qui passent par le détroit de Formose. Mais pour les plus gros, c'est 85%. Voyez, pour ce qui concerne la Mer Rouge, c'est seulement 20%, et nous sommes déjà très ennuyés par tout ce qui se passe dans la région. Si la Chine attaquait Taïwan, 60% ou 85% des plus gros conteneurs... C'est la fin du monde économique tel que nous le vivons aujourd'hui. Donc, je crois, le plus important, c'est travailler ensemble, il faut aussi mesurer nos capacités et continuer à envoyer des messages à la Chine, c'est ça le plus important. Si la guerre éclate, ce sera trop tard, il faut faire de la prévention.

Si la guerre éclate, vous dites, là aujourd'hui lundi 6 mai, vous avez peur, vous les Taïwanais, de devenir les Ukrainiens de l'Asie?

Ce n'est pas seulement nous. Vous aussi vous devez avoir peur. C'est ça le message. Tout le monde doit craindre ces conséquences, donc tout le monde doit travailler ensemble, et en envoyant des messages à la Chine, c'est ce qui coûte le moins cher, c'est ce qui aura le moins de coût en vies humaines, et c'est ça le plus important. Donc j'espère bien que Monsieur Emmanuel Macron va en parler à Monsieur Xi Jinping, mais comme nous savons très bien que la face des Chinois est fragile, et si on le dit en public, ils ne vont jamais l'accepter, donc au moins en privé, il faut passer ces messages, et je sais qu'il y a de plus en plus de pays qui passent ces messages à Monsieur Xi Jinping.

Merci beaucoup, François Chihchung WU, Représentant de Taïwan en France, d'avoir été ce soir notre invité dans RTL Bonsoir!, alors que le président chinois est en visite en France.

Merci infiniment.